qualifier de disciples serait exagéré. Ils n’étaient pas tous ses étudiants ; mais ils ont longtemps
témoigné de l’empreinte qu’il eut sur eux et leur fidélité me paraît dépasser la simple amitié.
A la quarantaine, Jean se mit au dessin à l’encre de Chine. Des dessins qui sont encore
accrochés chez les siens ou ses proches. Je me souviens comme il dessinait quand nous
habitions Genève ; il se mettait à son bureau, écoutait de la musique brésilienne, prenait ses
plumes Rotring, ses grandes feuilles à dessin, et reproduisait dans un style baroque des églises
ou maisons du Brésil ou de Dantzig. Comme si l’exil était partie intégrante de sa sensibilité.
Dantzig qu’il ne voulut au demeurant jamais revoir.
Un autre souvenir me permet d’évoquer une amitié, celle qui le lia à Georges Charpak,
son compagnon du CERN. Leurs parcours sont différents, Charpak ayant été résistant en
France, mais tous deux étaient des juifs immigrés, et ils naquirent et moururent quasiment la
même année. Ils décidèrent de se mettre ensemble au chinois, et tous les week-ends, Charpak
venait chez nous suivre avec mon père des cours professés par une jeune Chinoise.
Les dernières années de sa vie, mon père fut atteint de la maladie d’Alzheimer. Triste
maladie égalitaire. Elle ne s’arrêta pas au fait qu’il parlait couramment cinq langues, qu’il avait
eu une carrière scientifique internationale, que sa vaste culture allait bien au-delà de la science,
fin lettré, amateur de musique classique et de peinture. Sans s’émouvoir, non plus, de son réseau
d’amis dans tant de pays, parmi les scientifiques, artistes, intellectuels ou tant de personnes avec
qui il s’était lié. Il me revient en mémoire en écrivant ces lignes d’avoir lu des propos tenus par
Fernando Henrique Cardoso, avant qu’il ne devienne Président de la République du Brésil,
indiquant qu’ « il avait visité le CERN grâce à son ami Jean Meyer ».
Ce père qui eut une grande influence sur ses quatre enfants, dont les écarts d’âge
expliquent que chacun eut un peu de l’ « enfant unique ». A douze ans, il m’emmena seul en
vacances à Venise pour une dizaine de jours. Nous logions chez un ami de « l’époque de
Padoue ». Ce fut pour moi la découverte d’un pays, d’une ville, d’une langue, et de l’art. Si
j’étais allé dans un musée auparavant, je n’en ai plus souvenir. Mais ses récits sur Carpaccio,
Titien ou Tintoret m’ont transformé pour la vie. Les suites pour violoncelle de Bach, c’est lui,
Kathleen Ferrier aussi. Et bien sûr la physique ! Ce fut le choix de mes études. Ce n’était pas
comme professeur - même si en dernière année de licence, il le fut pour mon cours de relativité
- que je m’en souviens le plus. Il me parlait de cette physique du XXème siècle. Celle dont on
dit que si elle vous paraît évidente, c’est vous ne l’avez pas comprise. Et il l’associait aux
hommes qui en avaient été les acteurs. Certains, il les avait croisés, mais ce n’était pas le centre
de ses propos. Il aimait à me parler du mystère de la découverte.